Personne n’a pu échapper à la promotion extrêmement agressive
entreprise pour le film L’Autre Dumas dont le propos
est de ternir la réputation du romancier Alexandre Dumas,
afro-descendant, fils d’esclave haïtien, de le ridiculiser en le
faisant représenter par Gégé Depardieu le « Gaulois », et de
provoquer tous les descendants d’esclaves ou d’indigènes de
France par une offensive raciste tous azimuts destinée à
assurer, par la polémique, la promotion du film.
Le père d’Alexandre Dumas, le romancier, s’appelait également
Alexandre Dumas. Il était né esclave en Haïti.
C’est le plus grand héros de la Révolution française. Au moment
du rétablissement de l’esclavage, Napoléon, par racisme, l’a
chassé de l’armée.
Depuis 1802, la France refuse de l’admettre dans l’ordre
national de la Légion d’honneur. Alexandre Dumas le romancier,
fils du précédent, avait trois ans et demi à la mort de son
père. La haine négrophobe de Napoléon poursuivit la famille. La
mère, privée de pension, alors qu’elle était veuve d’un général
d’armée, dut supplier pour obtenir un modeste bureau de tabac à
Villers-Cotterêts.
On lui reprochait de s'être "prostituée" avec un "noir" et qui
plus est, un Haïtien. Le fils n’eut aucune bourse pour faire ses
études. Malgré cela, et avec l'aide des amis de son père, il
monta à Paris et obtint, grâce à son seul talent, le succès que
l’on sait. Aujourd’hui, on dirait de Dumas que c’est un
écrivain « noir ».
Au XIXe siècle, on ne manquait pas de lui rappeler ses origines,
mais jamais en face, car Dumas avait hérité de la stature de
colosse de son père et de son habileté aux armes.
Un dessinateur, Cham (descendant du comte de Noë, le
propriétaire de Toussaint-Louverture) le persécuta à coup de
caricatures toutes plus racistes les unes que les autres. Quand
Dumas quittait un salon, certains ouvraient les fenêtres au
motif que « ça puait le nègre ».
Dumas publiait énormément, surtout des feuilletons, et vivait de
sa plume. Comme il dépensait beaucoup, étant très généreux, il
fut obligé d’engager de nombreux collaborateurs qui
accomplissaient les recherches historiques qu’il n’avait le
temps de faire et traçaient souvent le canevas de ses œuvres. A
partir de cela, Dumas se mettait au travail et mettait sa touche
de génie, fort aisément reconnaissable. Dumas ne quittait guère
sa table de travail, d’où son embonpoint final, comme tous les
forcenés de l’écriture (Balzac, George Sand).
Tant qu’on faisait passer Dumas, qui est l’auteur français le
plus lu à l’étranger, pour un « caucasien », il n’y eut pas de
problème.
Je brisai l’omerta en osant écrire que son père était né
esclave. Alexandre Dumas, le dragon de la Reine (épuisé) était
la seule biographie publiée en France depuis la mort du général
(mis à part celle d’Ernest d’Hauterive, époux de l’arrière
petite-fille du général, qui était parue en 1897). J'ai récidivé
avec Le Diable noir (publié chez Alphée en 2008 et que j'ai
moi-même adapté en documentaire de 52', préacheté mais non
encore diffusé par France 2, avec Stany Coppet dans le rôle du
général Dumas).
En 2002, Valérie Terranova, conseillère de Jacques Chirac (et
mêlée ensuite au coup d’État contre Haïti) décida (sur les
recommandations d’un de ses amis) d’annoncer l’entrée au
Panthéon d’Alexandre Dumas pour faire un « coup » avant les
élections de 2002.
La date de la cérémonie, très contestée à Villers-Cotterêts (où
reposait Dumas), fut fixée au 30 novembre 2002. Le président du
Sénat, Poncelet, m'invita, à cette occasion, à prendre la parole
publiquement pour rendre hommage au général Dumas, dont je
rappelai qu’il était arrivé en France sans-papiers, ce qui sema
la panique à l’Élysée (dont Dominique de Villepin, entouré d’un
cabinet qui n'était noir qu'à cause de ses méthodes, était alors
le secrétaire général).
Un auteur, Bernard Fillaire, avait publié de son côté un livre,
Alexandre Dumas et associés. Le but de cet ouvrage était fort
malsain. Il s’agissait de faire savoir qu’Alexandre Dumas ne
méritait pas les honneurs qu’on lui rendait enfin, parce qu’il
n’aurait pas écrit ses livres lui même.
En fait, Bernard Fillaire n’avait pas inventé grand-chose. Il ne
faisait que mettre au goût du jour un pamphlet publié en 1845
par Eugène de Mirecourt sous le titre Dumas et Cie, fabrique de
romans. Avant de laisser tomber la copie et de parler de
l’original, notons au passage que c’est Bernard Fillaire qui
a écrit le «livre» destiné à faire la promotion de Lilian Thuram,
fort inspiré, paraît-il, du travail de divers auteurs non cités.
Drôle de choix, Lilian : tu ferais bien de te méfier de tes
"conseillers en communication" qui ne songent qu'à t'"essorer",
mais te desserviront, à la longue.
Le pamphlet de Mirecourt était ouvertement négrophobe et d’une
violence telle que Dumas dut se résoudre à déposer plainte.
Il obtint la condamnation de Mirecourt le 16 mai 1845 à une
amende, assortie de 15 jours de prison pour diffamation.
L’aggravation pour cause de racisme n’existait évidemment pas à
l’époque (l'esclavage étant toujours en vigueur dans les
colonies). Dommage. Qu’on en juge plutôt : « Grattez l’écorce de
M. Dumas et vous trouverez le sauvage… Les joujoux le séduisent,
les fanfreluches lui tournent le cerveau : Nègre ! »
Quel rapport entre le livre raciste de Mirecourt et L’Autre
Dumas de Nebbou ? C’est la même entreprise.
Les négrophobes se sont engagés dans la brèche ouverte par
Bernard Fillaire (continuateur de Mirecourt) et ont pu œuvrer
avec le soutien de l’appareil raciste d’État mis à contribution
pour préparer l’attaque contre Haïti et l’enterrement de la loi
Taubira.
Au moment où Pétré-Grenouilleau, grâce à Villepin, à Régis
Debray et à Chirac, surgissait du néant où il est depuis
retombé, une pièce de théâtre particulièrement nulle était,
comme par hasard, écrite et montée pour vilipender Dumas et y
faire la promotion d'un inconnu insignifiant, mais blanc de
peau, donc providentiel : Auguste Maquet.
Maquet fut au nombre des collaborateurs du romancier : un raté
complet, obscur professeur d’histoire. Encouragé par le pamphlet
de Mirecourt, auquel il n’était pas étranger, il profita de
l’attaque diffamatoire contre Dumas pour l’accabler à son tour
de procès, revendiquant une place de co-auteur et, bien sur, des
droits en conséquence. Maquet mourut fort riche. Dumas dans la
misère.
L’idée a dès lors été soufflée à un réalisateur, Safy Nebbou, de
faire, à partir de ce navet glorifiant le nain jaloux Maquet, un
film ouvertement négrophobe : on « réhabiliterait » Maquet, le
génie méconnu qui deviendrait le "nègre", l'"esclave", exploité
par un salaud d'imposteur incapable d'écrire une ligne, et Dumas
deviendrait l'imbécile, l'analphabète, le négrier.
La victime deviendrait bourreau, selon les bonnes vieilles
méthodes de la propagande coloniale. Puisque les Français
commençaient à être informés sur les origines d’Alexandre Dumas
et qu’ils n’en étaient que plus admiratifs, il devenait urgent
de le salir. On ferait à Dumas ce qu'on a fait à Aristide : deux
Haïtiens dérangeants.
Comme on peut s’en douter, Nebbou n’a pas eu de mal à trouver un
producteur et à rassembler 11 millions d’euros sur ce projet
ignoble.
Au moins Nebbou, et c’est tout son « mérite », n’y est pas allé
par quatre chemins. On aurait pu imaginer un film sur les
rapports entre Dumas et Maquet, faisant au moins la part des
choses. Non, là c’est un film contre Dumas et à la seule
gloire de Maquet.
Le Point, l’hebdomadaire que M. Pinault s’est offert avec
l’argent des arbres « exotiques » abattus dans les vieilles
forêts d’Afrique, l’hebdomadaire où l’on encense, quand il le
faut, les Pétré Grenouilleau et Pap Ndiaye, ne s’y est pas
trompé en titrant : «Maquet, l’esclave de Dumas». Beaucoup de
journalistes ont éprouvé un frisson de jouissance à faire des
jeux de mots sur le terme «nègre».
Mais Nebbou est allé plus loin encore. Quitte à nier la
négritude de Dumas pour la reporter sur Maquet, il a choisi pour
incarner Dumas le plus « gaulois » des acteurs qu’il pouvait
trouver : Gérard Depardieu, ou si l’on préfère, Obélix.
Je n’ai rien contre Depardieu, qui est un très grand acteur. Je
l’ai vu débuter et remarqué dans La Chevauchée sur le lac de
Constance de Peter Handke en 1970 alors qu’il était absolument
inconnu.
Pour les mêmes raisons que Dumas, sans doute, (l’argent),
Depardieu a participé à des films qui étaient indignes de son
talent. Celui-ci est vraiment en tête de liste de ses navets
alimentaires. Mais c’est en plus un film abject.
Ni Depardieu, ni Poolevorde, certainement, n’ont compris dans
quelle entreprise on les avait embarqués. D’après les rumeurs,
Poolevorde aurait toutefois rué dans les brancards durant le
tournage, et c’est tout à son honneur.
Au moment où les descendants d’Africains de France se battent
pour obtenir un peu de respect et la reconnaissance de leurs
héros bafoués, était-il convenable de confier le rôle de Dumas,
dont la grand-mère était une esclave noire de peau, au blondinet
Depardieu, affublé d’une perruque frisée grotesque ?
Confierait-on le rôle de Molière à mon ami Alex Descas, le plus
grand acteur français de sa génération ?
Les acteurs d’origine africaine ou antillo-guyanaise sont tous
mes amis et je voudrais leur rendre ici hommage. Ils ont du
talent et ils souffrent parce qu’on ne refuse de les employer
(et ce n'est certainement pas l'agence de promotion pour la
culture de l'outre-mer - le bureau des bals boudins et du zouk -
que Frédéric Mitterrand s'apprêterait à confier Patrick Karam,
l'agent de Villepin et des békés, le coordinateur officiel du
misérabilisme antillais, chargé de la persécution judiciaire,
aux frais de l'Etat, des détracteurs de ce même misérabilisme,
qui va améliorer leur sort).
Ce refus est particulièrement marqué quand il s’agit de la
télévision publique qui, du reste, a financé L’Autre Dumas,
comme elle avait financé un navet à la gloire de Napoléon
passant le rétablissement de l'esclavage sous silence (un point
de détail, sans doute).
Ce qu’a fait Safy Nebbou est une véritable insulte pour les
acteurs issus de la diversité. Je sais les difficultés qu’ils
éprouvent au quotidien pour vivre de leur talent. J’ai été
moi-même élève, dans ma première jeunesse, d’un cours d’art
dramatique dont le professeur s’était d’emblée adressé à moi
pour me dire : « Oh vous, c’est sûr qu’on aura du mal à vous
trouver des rôles dans le répertoire ! » J’ai immédiatement
quitté le cours et, plus tard, je me suis mis à la tâche pour
qu’un jour, il y ait des rôles pour tout le monde.
Ce qui est grave, c’est que si L’Autre Dumas est un succès, on
n’hésitera pas à s’emparer des héros de la diversité pour les
faire jouer systématiquement par des acteurs « blancs» plus ou
moins grimés comme ce fut le cas aux débuts du cinéma
hollywoodien.
L’attaque de Nebbou contre Dumas est d’autant plus monstrueuse
que l’on avait toujours refusé en France de faire un film sur
cet auteur, pour ne pas avoir à évoquer ses origines.
Personne ne sera surpris de la promotion gratuitement consentie
à ce film. Michel Drucker s’indigne, paraît-il, que Dumas n’ait
pas écrit lui-même ses livres. Dumas a écrit ses livres.
Mais je conseille à tous ceux qui n’ont pas écrit les leurs un
peu de décence, si ce n’est de prudence. L’édition est un petit
milieu. Imaginons que tous les Maquet d’aujourd’hui révèlent au
grand public le nom des ouvrages auxquels les auteurs n’ont
apporté que leur nom sur la couverture ou un brouillon
impubliable. Beaucoup de journalistes de télévision,
certainement, y perdraient de leur crédit et peut-être même leur
place. Ne parlons même pas des hommes politiques.
J’ai publié ce printemps (en tant que directeur de collection
d’une maison d’édition) et longuement préfacé La Vendée et
Madame, un livre que Dumas avait écrit en 1833 pour le général
Dermoncourt, compagnon de son père.
J’avais rétabli la vérité. Un journaliste du Figaro Magazine
qui, pourtant, avait accepté de boire et de manger son saoul
dans un de ces restaurants dont les nègres sont cachés dans les
cuisines (le journaliste était invité, selon l’habitude de
beaucoup de journalistes, par l’attaché de presse, aux frais de
la maison d’édition).
Un journaliste, donc, du Figaro Magazine, s’était déchaîné sur
deux pages, avec une âpreté singulière, pour dire que ce n’était
pas Dumas qui avait pas écrit La Vendée et Madame, mais bien le
général Dermoncourt. C’est parfaitement absurde car tout le
monde sait que Dumas est bien l’auteur de ce livre et que la
moindre des choses, en le rééditant, était de le mettre au
crédit de son véritable auteur.
Mais pour ce journaliste, cette réhabilitation, que j’avais
entreprise, allait à l’encontre du film de Nebbou, alors en
tournage et dont il participait certainement déjà à l’entreprise
de promotion. Il faut imaginer, en effet, la part de budget de
L'Autre Dumas qui a pu être consacrée à régaler les
journalistes, qui cette fois semblent avoir au moins la
reconnaissance du ventre.
Dumas, étant un nègre, était incapable d’écrire. Donc il ne
pouvait avoir écrit pour un autre. Cette thèse développée dans
Le Figaro Magazine était en fait empruntée au livre de Mirecourt
condamné par la justice où, de la même manière, dès 1845, on
niait que Dumas ait été capable d’écrire le livre du général
Dermoncourt.
De plus, le fait que ce soit moi qui écrive sur Dumas était
parfaitement inacceptable. Je fus traité de « gentleman
mystificateur ». Et Le Figaro Magazine titra : Inédit de Dumas :
un faux !
L’Autre Dumas sort le 10 février, trois semaines après le
cataclysme qui a fait plus de 200 000 morts au pays d’Alexandre
Dumas, une semaine avant que le Président de la République ne se
rende en Haïti.
Voilà qui montre bien l’opinion qu’une certaine France peut
avoir des Haïtiens et plus généralement des descendants
d’esclaves, dont Dumas est l’un des plus illustres.
Comment réagir ?
1°/ En n’allant pas voir L’Autre Dumas et en appelant à le
boycotter parce que ce film est tout simplement une incitation
insidieuse à la haine raciale.
2°/ En signant et en faisant signer la pétition pour qu’un
hommage soit enfin rendu au père de la victime de ce film, le
général Alexandre Dumas. Ainsi, la promotion raciste qui va être
mise en œuvre pendant toute la semaine bénéficiera au moins à
une entreprise qui ne l’est pas.
Claude Ribbe,
écrivain,
Président de l'association des Amis du général Dumas